Peut-on rester jeune à tout âge ?
Question qui pose un vrai problème, car pourquoi vouloir rester jeune à tout prix ? Pourquoi le jeunisme ? Nos sociétés occidentales ne croient plus à la vie éternelle. Seule compte la jeunesse.
La pensée qu’il faut rester jeune, au moins d’esprit, structure nos imaginaires. Pourquoi sommes-nous incapables de penser qu’on peut garder une capacité d’émerveillement, une envie de vivre, une fraicheur d’esprit même si on est âgé ? Pourquoi « vieux » est presque devenu un gros mot ?
Cicéron (né en 106 av. J. -C. à Arpinum, mort assassiné le 7 décembre 43 av JC) écrit « Sur la Vieillesse » à l’âge de 62 ans, alors qu’il se débat dans une fin de carrière politique houleuse. C’est un « jeune » géronte marginalisé qui tente de se réconforter, en se persuadant que la vieillesse est le temps privilégié de la vie. Le livre se présente comme un dialogue « inter-générationnel » dans lequel deux jeunes adultes de 35 ans, Scipion Émilien et Lalius, interrogent sur la vieillesse Caton l’Ancien (234-149 avant J.-C.), vieux censeur de 84 ans. Le texte est écrit vers 44 avant J.-C., soit peu de temps avant l’assassinat de Cicéron.
Cicéron dit qu’il y a 4 raisons de se plaindre de vieillir :
1) Renoncer aux affaires
2) Le corps s’affaiblit
3) Les vieux sont privés de presque tous les plaisirs
4) Ils sentent la mort prochaine
Qu’est-ce qu’être jeune ?
Avoir des projets
Avoir du temps devant soi
Les illusions sont un trait de la jeunesse ?
Les enfants ne vivent pas dans le même monde que nous. Il y a un monde enfantin, où la notion du temps n’existe pas encore, où la raison au sens de raisonnement n’est pas encore développée. Une année à 15 ans, ce n’est pas le même « temps » qu’une année à 70 ans.
Le a durée du temps peut se mesurer. Le temps est aussi subjectif, lié à la mémoire.
Pourquoi ne veut-on pas vieillir ?
A la retraite, on est mis à l’écart. « Oh la petite dame, je lui mets encore 3 pommes ? »
Il y a 17 millions de retraités en France.
La chirurgie esthétique fait des ravages chez les jeunes : sur tiktok, le modèle c’est de se faire gonfler les lèvres. On a l’injonction de rester jeune, et cela commence très tôt.
Il y a une injonction néo-libérale à rester jeune.
On a besoin de se sentir utile à tout âge.
La vieillesse est l’expérience d’une usure qui affecte apparemment le corps, mais qui peut, plus profondément, affecter aussi l’âme.
Le syndrome Peter Pan : rester jeune à tout prix, comme si la jeunesse était le seul bien qui a de la valeur. Susan Neiman (voir plus bas) interroge ce diktat.
Les âges de la vie
Didier Van Bruyssel (2014) : « Toute la société s’est organisée en fonction d’une échelle d’âges aux échelons de laquelle on fait correspondre une série de droits et de devoirs totalement arbitraires », écrit-il. Il y a l’enfance, l’adolescence (le temps des études), l’âge adulte (la période de la vie professionnelle), la préretraite, la retraite et la vieillesse.
https://sergetisseron.com/blog/devenir-vieux-mais-rester-jeune/ : Une erreur serait de penser la situation des vieux indépendamment des autres tranches d’âge. Il n’existe pas des intérêts des jeunes opposés à ceux des vieux, comme on l’a bien vu pendant la période du covid. Ceux qui ont demandé une levée des mesures de confinement afin que les jeunes puissent « vivre leur jeunesse » au risque que les vieux meurent un peu plus, ont manqué de penser la société comme un système d’interdépendance réciproque.
Finalement ce qui menace le plus la vieillesse, c’est de la penser comme un état de la vie qui nécessiterait une attention particulière. Bien sûr, il existe plus de personnes âgées dépendantes que de jeunes ou d’adultes dans la même situation, mais ceux-ci existent, et les problèmes posés par leur prise en charge n’est pas fondamentalement différente. Il y a eu un temps où chaque vieux, dans son isolement, était menacé de se replier sur lui-même. Avec Internet, le risque est que les vieux, dans la conscience qu’ils ont de leur nombre est souvent de leur santé, se replient sur eux-mêmes en tant que groupe.
En effet, la résilience d’une population est largement fondée sur cette interdépendance des diverses couches de la population. La société est un système constitué d’éléments imbriqués, depuis le plus petit jusqu’au plus grand : les individus, les familles, les communautés, les régions, les pays jusqu’à la planète entière. Il n’y a pas de résilience d’un groupe ou d’un système qu’on puisse opposer à un autre. Tout est co-résilience, c’est pourquoi l’important n’est pas que les personnes âgées se constituent en groupe autonome, mais bien plutôt qu’elles soient présentes partout pour faire valoir leurs intérêts convergents avec d’autres catégories de population, et leurs intérêts spécifiques.
Beaucoup d’auteurs, depuis les analyses de Foucault, se réfèrent à la catégorie du « bio-politique » pour montrer à quel point le pouvoir se saisit de la vie biologique des hommes : de leur santé et de leur comportement en tant que vivants. Il est donc à nouveau question d’une sagesse du « savoir vieillir » qui se réfère davantage à l’hygiène et à la diététique qu’à l’éthique des anciens philosophes.
La révolte des vieux :
Deux sites :
Le site internet de l’association OLD’UP, « plus si jeunes mais pas si vieux ». https://www.oldup.fr/
Conseil national auto-proclamé de la vieillesse CNAV : https://www.cnav-demain.fr/
Laure Adler : J’ai fêté mes 70 ans une semaine avant le confinement du 15 mars 2020. Ce jour-là, Emmanuel Macron a annoncé à la télévision que les personnes de plus de 70 ans devaient rester chez elles, car elles étaient les plus fragiles.
Tout d’un coup, l’hypothèse de la discrimination d’une partie de la population sur la seule base de son âge est posée. Et, avec elle, celle d’une atteinte inédite à l’universalisme de la condition humaine. Sans que personne ne réagisse.
L’âge m’était tombé dessus, sans que je n’y ai jamais pensé avant. J’ai commencé à réfléchir, à m’interroger. Qu’est-ce qu’être vieux ? Pourquoi vivre cet âge comme une catastrophe ? Pourquoi les vieux sont-ils devenus des corps encombrants ? Nous devrions pouvoir être vieux sans être jetés aux poubelles de l’histoire postmoderne.
Les citations :
Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle – proverbe africain
En considérant les vieux comme à mettre au rebut, comme quantité en surplus, on perd de notre humanité. Laure Adler
La vieillesse est la période de la vie où les inégalités se révèlent de jour en jour plus criantes. Seuls les privilégiés ont accès à une vieillesse heureuse. Laure Adler
Ce qu’il y a de terrible dans le fait de vieillir, ce n’est pas d’être vieux mais de rester jeune. Oscar Wilde
La passion du plaisir est le secret pour rester jeune. Oscar Wilde
Sénèque « Lettres à Lucilius » (65) : « Au moral, je ne sens point l’injure des ans, bien que mon corps la ressente ; je n’ai de vieilli que mes vices et leurs organes. »
Au fond, la peur de grandir est moins la peur de la mort que la peur de la vie. Susan Neiman
Ceux qui n’ont en eux-mêmes aucune ressource pour mener une vie bonne et heureuse trouvent tout âge pesant. « De la vieillesse » – Cicéron
Si tu ne peux pas ajouter de la hauteur à la bougie, ajoute de la hauteur à la flamme.
Claudel, octogénaire, écrit dans son Journal : « Hier, soupire l’un ! Demain, soupire l’autre ! Mais il faut avoir atteint la vieillesse pour comprendre le sens éclatant, absolu, irrécusable, irremplaçable de ce mot : aujourd’hui ! » »
Bibliographie :
La voyageuse de nuit – Laure Adler
Aurait-on honte dans notre société de prendre de l’âge ? Il semble que oui. On nous appelait autrefois les vieux, maintenant les seniors. Seniors pas seigneurs. Et on nous craint – nous aurions paraît-il beaucoup de pouvoir d’achat – en même temps qu’on nous invisibilise. Alors que faire ? Nous mettre aux abris ? Sûrement pas ! Mais tenter de faire comprendre aux autres que vivre dans cet étrange pays peut être source de bonheur…
Grandir – Éloge de l’âge adulte à une époque qui nous infantilise (2021) de Susan Neiman
Notre société est obsédée par la jeunesse. La chose semble partout admise : devenir adulte, c’est se résigner à une vie moins aventureuse et beaucoup plus insignifiante que ce à quoi l’on pensait pouvoir prétendre.
Mais si l’on ne parle jamais de l’âge adulte en termes élogieux, ce n’est peut-être pas pour rien. Car en décrivant la vie comme un long déclin, nous laissons entendre aux plus jeunes qu’ils ne doivent pas en attendre grand-chose – et nous leur apprenons ainsi à ne rien réclamer. Derrière l’idéologie de la jeunesse éternelle se cache une question politique majeure.
Dans cet essai incisif, Susan Neiman, philosophe américaine, interroge cette culture, la nôtre, qui promeut une adolescence permanente. Et se tourne vers des penseurs tels que Kant, Rousseau et Arendt pour trouver un modèle de maturité qui ne soit pas simple affaire de résignation. Car la véritable maturité implique de trouver le courage de vivre dans un monde incertain sans rien céder au dogme du désespoir. Un adulte, affirme Neiman, transforme le monde de sorte qu’il ressemble davantage à ce qu’il devrait être, sans jamais perdre de vue ce qu’il est vraiment. Et si le fait de prendre de l’âge, loin de rimer avec ennui et renoncement, était en fait un idéal pour notre temps – peut-être même l’idéal le plus subversif que l’on puisse trouver dans une société qui nous encourage à ne pas faire l’effort de penser par nous-mêmes ?
Nous, héritiers de Lumières, avons besoin de nous sentir actifs en exprimant tel désir et tel choix de vie. Or, le néo-libéralisme est le meilleur moyen d’assouvir ce désir. On nous abrutit en nous assujettissant à une multitude de microdécisions […] Nos occasions de prise de décision étant entièrement mobilisées ailleurs, nous oublions que les décisions les plus importantes sont prises par d’autres, et d’autres que nous sommes incapables de nommer.
Théodor Adorno a analysé les grandes lignes de cette transformation il y a une cinquantaine d’années : suivant un renversement pervers, la production économique n’est plus le moyen d’avoir une bonne vie ; c’est notre vie qui est devenue un moyen d’assurer le bon fonctionnement de la production, des ventes et de la consommation.
Cicéron – de la vieillesse
Cicéron tente de concilier stoïcisme et épicurisme : autarcie et ataraxie, destin et liberté d’assentir au plaisir. Mais il reste aussi fidèle à l’esprit de Platon : chaque âge, quel qu’il soit, a sa beauté.
La vieillesse – Simone de Beauvoir (1970)
« Avant qu’elle ne fonde sur nous, la vieillesse est une chose qui ne concerne que les autres. »
« Pour la société, la vieillesse apparaît comme une sorte de secret honteux dont il est indécent de parler »
« Pour que la vieillesse ne soit pas une dérisoire parodie de notre existence antérieure, il n’y a qu’une solution, c’est de continuer à poursuivre des fins qui donnent un sens à notre vie : dévouement à des individus, des collectivités, des causes¸ travail social ou politique, intellectuel, créateur… »
Eloge de la vieillesse – Herman Hesse
« C’est seulement en vieillissant que l’on s’aperçoit que la beauté est rare, que l’on comprend le miracle que constitue l’épanouissement d’une fleur au milieu des ruines et des canons, la survie des oeuvres littéraires au milieu des journaux et des cotes boursières. »
Nous animons des Café Philo une fois par mois à Neuilly-Plaisance.
Durée 1h30