Thème :

L’humour est-il une forme d’intelligence   ?

Qu’est-ce que l’humour ? Il s’agit d’une sorte d’esprit railleur qui s’attache à souligner le caractère comique, ridicule, absurde ou insolite de certains aspects de la réalité dans le but de faire rire et divertir un public.

Einstein disait : « Mon intelligence est due à mon humour d’enfant »

Qu’est-ce que l’intelligence ? C’est la faculté d’adaptation à différentes situations, la capacité à traiter l’information pour atteindre ses objectifs. En latin, intelligencia signifie discerner, comprendre, remarquer.

Humour et humeur ne font qu’un au départ. Ce n’est qu’au XVIII siècle et uniquement dans la langue française, qu' »humour » se détache d' »humeur », les langues italienne, espagnole, ou anglaise ne faisant pas cette distinction. Les Anglais mettent au jour la spécificité de cette tournure d’esprit qu’est l’humour, par le biais du théâtre Élisabéthain. Les « humeurs » et l’« humour » lubrifient la vie. Wikipedia

 

Humour et intelligence seraient intimement liés. Selon une étude autrichienne, les gens drôles auraient un Q.I. plus élevé.

Rire fait du bien, cela aide à désamorcer les conflits. Mais l’humour ne fait pas forcément rire, cela peut-être un sourire intérieur.

Avoir une vision humoristique de la vie et des tracas quotidiens aiderait à mieux gérer son stress.

Pour Yves Cusset : “Le pouvoir de l’humour est de transformer le désespoir en objet d’étonnement” :  L’humour est un moyen de faire éclater la frontière entre la légèreté et la gravité : en riant, on ne sait plus ce qui est léger ou pas. Les questions sont a priori graves, j’aborde en particulier les grandes questions existentielles qui touchent aux extrémités de la vie, à la naissance et à la mort. Mais on ne rit justement que de cette découverte étonnante qu’il n’y a pas de raison de désespérer de ce qui est désespérant ! Voilà l’une des phrases qui résume très bien l’humour, et que l’on doit au psychologue Paul Watzlawick  : « La situation est désespérée, mais elle n’est pas grave. » Le pouvoir de l’humour est de transformer le désespoir en objet d’étonnement, même pour les personnes qui sont les premières concernées. On rit d’ailleurs souvent de ce qui devrait normalement nous affecter, nous mettre en peine.

L’humour est une attitude existentielle qui implique de savoir rire de soi-même. Il apporte un nouvel aspect à la perception habituelle ;  il joue un rôle essentiel dans l’équilibre de la personne, et libère les tensions.

Il est aussi  une prise de distance par rapport à une réalité. L’humour rend la tragédie de la vie plus vivable.

L’humour influence les rapports entre humains. Il a un aspect de correcteur social. L’humour serait en quelque sorte un outil thérapeutique qui permet d’échapper à la violence que chacun a en lui. L’humour est un formidable outil de cohésion et de socialisation.

L’humour signifie une intelligence sociale. Il fait appel à la pensée et à l’intelligence,  il est porteur de messages.

Pour Ludwig WITTGENSTEIN,  l’humour est une « Weltanschauung », une manière de voir le monde.

 Comprendre les mécanismes de l’humour :

L’humour crée la connivence, mais paradoxalement, ne peut exister sans elle, c’est-à-dire sans le partage d’un référentiel commun.

L’humour est une arme à double tranchant. Il permet de créer des liens et des appartenances, de rapprocher et de rassembler, car l’humour permet de rire ensemble. Mais il peut aussi être facteur d’exclusion, si l’on rit de l’autre.

 L’incongruité est le ressort principal de l’humour. L’incongruité signifie la présence simultanée, ou très proche temporellement, d’éléments qui sont incompatibles ou contradictoires. Le rire ou le sourire sont provoqués par ce conflit entre ce qu’on attendait et ce qu’on rencontre effectivement. Les linguistes ont, pour leur part, identifié l’élément qui permet de révéler cette incongruité, c’est le « disjoncteur ».

C’est aussi un décalage. L’humour c’est se décentrer. Faire un pas de côté.

Freud accorde la plus grande importance à l’humour : « L’humour est une des manifestations psychiques les plus élevées et les plus chères aux penseurs ».

 L’humour serait « la manifestation la plus élevée des réactions de défense » du moi face à des « affects pénibles ». L’humour aurait « non seulement quelque chose de libérateur, comme l’esprit et le comique, mais encore quelque chose de sublime et d’élevé »

Nous rendant plus souples psychiquement, l’humour facilite la communication. Aussi, « en Orient, les sages transmettent souvent leur enseignement en racontant une histoire drôle », dit Moussa Nabati. 

L’humour est un bon sens, le jumeau solaire et distrait du désarroi. Si l’humour se moque du monde, c’est que le monde se moque de nous. L’insoutenable légèreté de l’humour prouve que le non-sens peut être réjouissant, qu’on peut rire de tout, du Tout, et même de la surface de l’eau juste après le naufrage d’un navire. Si l’humour est le propre de l’homme, c’est que nous sommes des morts en sursis à qui un Dieu farceur laisse, indifféremment, le choix d’en rire ou de pleurer. L’humour, c’est le bras armé de la joie.

Rire en philosophie consiste à se réjouir de l’existence. Le rire philosophique est affirmateur. Freud a analysé le plaisir propre au rire, dont il a esquissé la formule, analogue pour l’humour, le comique et l’esprit ; il est déterminé par l’épargne d’une dépense, nécessitée respectivement par le sentiment, la représentation et l’inhibition. L’enjeu réside dans le soulagement de la conscience souffrante, et la méthode du rire consiste à regagner un plaisir perdu du fait de notre activité psychique

Le rire, à l’instar de l’art, soulage de la souffrance, et décline son caractère libérateur à proportion du plaisir qu’induit la plaisanterie. L’humour contrarie en somme le tragique de l’existence.

Il faut postuler la joie comme on pose un axiome mathématique, par un décret de la raison. Contre le dérisoire des réjouissances passagères, elle se doit d’être une réjouissance inconditionnelle de et à propos de l’existence. C’est ce qu’assure Clément Rosset pour qui “ toute joie parfaite consiste en la joie de vivre, et en elle seule ” 

D’où vient le rire ?

Le rire aurait précédé l’apparition du langage. Il permettait à nos ancêtres de clarifier leurs intentions dans des situations d’interactions sociales. « Le rire était un signal social précoce et sûr. Avant de pouvoir parler, le rire permettait de signaler que tout allait bien », explique Carl Marci, neuroscientifique à l’École de médecine d’Harvard. Les scientifiques pensent que le rire traduisait alors l’expression d’un soulagement commun, la fin d’un danger. Et aujourd’hui encore, le mécanisme du rire est intimement lié au soulagement que l’on rencontre lorsque l’on comprend l’élément de surprise d’une blague.

Le rire est un feu d’artifice pour le cerveau
Lorsque le cerveau identifie et comprend une plaisanterie, il libère des neurotransmetteurs liés au bien-être : dopamine, sérotonine et endorphines. Leurs effets sont bénéfiques pour l’ensemble du corps. Ils soulagent la tension, augmentent l’activité des cellules immunitaires et améliorent le flux sanguin. Ils aident ainsi à réduire le stress, à détendre les muscles et diminuent les risques cardio-vasculaires.

Au Moyen-Âge, la culture judéo-chrétienne dépeint le rire comme une perversion morale. C’est un acte vulgaire, indécent, assimilé aux païens et au peuple. A partir du XVIème siècle, les zygomatiques commencent à se détendre et les héros comiques apparaissent dans la culture populaire. Ils prennent les traits d’Arlequin pour moquer les relations entre valets et maîtres, d’anonymes dans les caricatures royales, puis s’expriment pleinement dans les films de Charlie Chaplin. En dénonçant les excès de leur époque, dans les sphères politiques ou dans le monde de l’entreprise, le rire trouve petit à petit sa place.

Les bébés rient en moyenne 400 fois par jour. Les plus de 35 ans, seulement 15 fois.

 

La philosophie et le rire :

Socrate, Platon, Aristote, Descartes, Kant, Schopenhauer, Nietzsche, Bergson, Freud,des auteurs contemporains, tous ont perçu l’importance du phénomène du rire et ont essayé d’en comprendre le sens et les mécanismes.

J’oserai même établir une hiérarchie des philosophes d’après la qualité de leur rire, écrit Nietzsche dans Par-delà Bien et Mal– après un passage où il dénonce le culte de la souffrance. Nietzsche est le grand philosophe du rire. Il faut «désapprendre la mélancolie», écrit-il.

Pour Nietzsche, le rire est «une guerre», et «une victoire». Il est révélateur. Mais, il y a rire et rire, évidemment. «Quand l’homme rit à gorge déployée, il surpasse tous les animaux en vulgarité.» L’homme vraiment joyeux doit «désapprendre le rire bruyant».

Et Zarathoustra lance : «Hommes supérieurs, apprenez donc à rire.» En ajoutant : il faut «danser sur les tristesses comme sur les prairies».

Kant, le plus grand et plus subtil critique des prétentions exagérées de la philosophie : Mais si, comme l’affirme Shaftesbury, ce n’est pas une méprisable pierre de touche de la vérité d’une doctrine (surtout d’une doctrine pratique) que de savoir si elle résiste au rire, ce devrait bien, avec le temps, être au tour du philosophe critique de rire le dernier et d’autant mieux en voyant les systèmes de papier de ceux qui ont longtemps tenu le maître mot s’effondrer les uns après les autres et leurs partisans disparaître : destin qui les attend inévitablement

Dans la philosophie on rit alors à cause d’une raison bien précise, parce qu’elle ne peut pas répondre à ses propres attentes (d’après la définition du rire la plus connue, de Kant elle aussi). Critique de la faculté de juger : « Dans tout ce qui provoque de violents éclats de rire, il faut qu’il y ait quelque absurdité (où l’entendement ne pourra donc trouver en soi aucune satisfaction). Le rire est un affect qui résulte du soudain anéantissement de la tension d’une attente. »

Plus la philosophie peut surmonter son péché originel d’exclure le corps, plus elle s’approche du rire. Deux interventions sont, à ce titre, significatives au début du 20ème siècle : la psychanalyse de Freud et le vitalisme de Bergson qui définit « la fantaisie comique » comme « énergie vivante »

 

Comment appelle-t-on quelqu’un qui n’a pas d’humour ?

Il existe un mot pour qualifier un tel atrabilaire. Un terme qui apparaît dans l’œuvre de François Rabelais: «agélaste». Comprenez: un individu «réfractaire à l’humour»

Les citations :

  • L’humour est le plus court chemin d’un homme à un autre. Georges Wolinski
  •  La seule chose absolue dans un monde comme le nôtre, c’est l’humour. Albert Einstein
  •  L’humour ? Une mission, faire du bien aux gens. Sylvie Joly
  •  L’humour est un déguisement sous lequel l’émotion peut affronter le monde extérieur. Tony Mayer
  •  L’intelligence sans humour est difficilement de la vraie intelligence. Etienne Chatiliez
  •  La plus perdue de toutes les journées est celle où l’on n’a pas ri. Nicolas de Chamfort

 

 

Bibliographie : 

 

Platon et son ornithorynque : https://www.philomag.com/articles/thomas-cathcart-daniel-klein-comment-rire-dune-banane-molle Thomas Cathcart et Daniel Klein (Diplomés de philosophie à Harvard)Sous-titre : la philosphie expliquée par les blagues.

Écrire un ouvrage de philosophie sérieux, mais entièrement composé de blagues ? L’idée était de Ludwig Wittgenstein, mais ce penseur sombre et tourmenté ne l’a jamais mise en acte.

Thomas Cathcart et Daniel Klein :  La philosophie et les blagues produisent ces moments où l’on se dit : « Ah ! Ah ! » et, tout d’un coup, on comprend.

« Une octogénaire se précipite dans la salle des hommes de la maison de retraite où elle habite. Elle soulève son poing fermé et lance : “Quiconque devine ce que je tiens dans ma main peut faire l’amour avec moi ce soir.” Un vieil homme répond aussitôt : “Un éléphant ?” La femme demeure un moment pensive, puis elle rétorque : “C’est assez proche pour être accepté ! Bonne réponse.” » 

Thomas Cathcart et Daniel Klein : Notre suggestion selon laquelle les blagues viennent vous couper l’herbe sous le pied et tromper vos attentes nous place fermement dans le camp des théoriciens de l’incongruité, théorie dont les plus célèbres défenseurs sont Kant et Schopenhauer. Selon ce point de vue, les éléments d’absurdité et de surprise sont essentiels à l’humour. Mais nous pensons qu’il y a aussi quelque chose de vrai dans la théorie de la supériorité défendue par Thomas Hobbes. Celui qui raconte une blague connaît une « soudaine gloire », il s’agit d’une « action soudaine dont on est content ». Et l’auditeur qui comprend se sent aussi brillant que la personne qui a lancé la blague ! On appartient à une élite dont sont exclus ceux qui ne comprennent pas. Quoi qu’il en soit, les psychologues sont ceux qui expliquent le mieux ce qui nous fait rire – à savoir, les mêmes choses qui nous angoissent, comme le sexe et la mort. Nous faisons des blagues à propos de ces choses afin de nous apaiser un moment. Essayez, juste pour voir, de trouver une -blague vraiment hilarante à propos d’une banane molle.

Une autre retombée positive de l’utilisation de l’humour dans l’enseignement de la philosophie est que cela démystifie la discipline et la ramène sur terre. La philosophie a la réputation d’être quelque chose de ridiculement complexe. Il nous semble qu’un soupçon de dérision ne saurait nuire. Racontez quelques bonnes blagues idiotes et ensuite, mais ensuite seulement, abordez les antinomies kantiennes de la raison pure. Cela fonctionne à merveille !

 

Kant et son kangourou franchissent les portes du paradisThomas Cathcart et Daniel Klein

Le rire – Bergson : 

Il n’y a pas de comique en dehors de ce qui est proprement humain. Un paysage pourra être beau, gracieux, sublime, insignifiant ou laid ; il ne sera jamais risible. On rira d’un animal, mais parce qu’on aura surpris chez lui une attitude d’homme ou une expression humaine. On rira d’un chapeau; mais ce qu’on raille alors, ce n’est pas le morceau de feutre ou de paille, c’est la forme que des hommes lui ont donnée, c’est le caprice humain dont il a pris le moule. Comment un fait aussi important, dans sa simplicité, n’a-t-il pas fixé davantage l’attention des philosophes ? Plusieurs ont défini l’homme « un animal qui sait rire ». Ils auraient aussi bien pu le définir un animal qui fait rire, car si quelque autre animal y parvient, ou quelque objet inanimé, c’est par une ressemblance avec l’homme, par la marque que l’homme y imprime ou par l’usage que l’homme en fait.

 

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